titre de l'histoire.
SAN FRANCISCO, USA – JUILLET 2000Christos avait passé la journée à parcourir tous les coins et les recoins de sa maison qui ne serait bientôt plus la sienne. Enfin si, ce serait toujours la sienne. Elle avait appartenu à ses grands-parents et son père préférerait perdre un bras plutôt que de devoir se séparer de sa propriété à San Francisco mais juste, demain, il ne vivrait plus ici. Parce que son père avait décidé d’emménager à New York là où d’après lui, il aurait plus d’opportunités pour ses affaires. C’est en tout cas ce que Christos l’avait entendu dire au téléphone. En tout cas pour le petit garçon, ce n’était pas une raison suffisante pour quitter sa ville, ses amis et sa maison qu’il aimait tant. Mais pour ce que son avis comptait là-dedans... Il n’avait même pas encore dix ans alors ses parents n’allaient sûrement pas écouter son opinion. Après avoir passé la journée à explorer sa maison une dernière fois, il était maintenant couché dans sa chambre mais incapable de dormir. Il voulait profiter de tous les derniers instants qu’il pouvait passer là, même si cela signifiait ne pas dormir de la nuit. Il décida donc de sortir de sa chambre, prenant garde à ne pas faire craquer le parquet en avançant. Si son père, sa mère ou l’un des domestiques qui peuplaient la maison lui tombaient dessus, il se prendrait un savon. Il fallait croire que tout le monde ne se donnait pas autant de mal que lui parce qu’il entendit bientôt le bruit de quelque chose qui tombait en bas de l'escalier. Il se figea aussitôt, à l’affût du moindre mouvement, avec l’impression d’être comme un espion en mission secrète de la plus haute importance. Et en fait, il trouvait ça vraiment très cool. Le garçon s’avança alors un peu en faisant preuve de beaucoup de précaution mais il trouva sa mission secrète beaucoup moins cool quand il découvrit que l’ennemi un peu trop bruyant n’était nul autre que sa sœur. Elle était vraiment trop nulle. Elle se baladait comme ça, dans le hall d’entrée au beau milieu de la nuit sans aucune crainte, méritant juste de se faire prendre et de se faire punir. Christos descendit l’escalier en essayant toujours de ne pas faire de bruit et attrapa sa sœur par le bras pour la tirer dans un coin.
« Qu'est-ce que tu fais debout ? Tu dois dormir, il est tard. » Son ton était plein de reproches, occultant délibérément que lui-même errait dans la maison à une heure indue. Celle-ci pencha la tête et prit simplement un air ennuyé. Elle prenait souvent cet air quand il lui parlait. Enfin, il préférait toujours ça à quand elle se montrait trop collante.
« J’ai faim. » répondit-elle simplement. C’était ça quand on manquait les repas parce qu’on faisait une crise. C’est ce qu’elle avait fait la veille au soir lors du dîner parce qu’elle ne voulait pas partir, elle non plus. D’ailleurs, Christos avait prit des petits pains pour elle en prévision. Parce qu’il savait qu’elle faisait souvent son petit numéro pour attirer l’attention, comme la sale gamine qu’elle était, et qu’elle aurait ensuite faim. Il avait juste oublié de lui emmener les provisions dérobées.
« Viens. » Il la tira de nouveau par le bras pour l’emmener jusqu’à sa chambre. Il fit deux pas avant de s’arrêter et de lui ordonner avec un grand sérieux:
« Pas de bruit, fais comme si on était en mission secrète. » La petite plissa les yeux mais finit bien par acquiescer. Ils remontèrent donc à l’étage et arrivèrent à la chambre du jeune garçon. Il referma la porte derrière eux avant d’aller chercher les petits pains qu’il avait soigneusement emballés dans une serviette avant de les cacher dans un tiroir. Tant de précautions car les règles étaient strictes, pas de nourriture dans les chambres.
« Tiens. » Il lui tendit le butin et la fillette se jeta dessus. On aurait cru qu’elle mourrait de faim. Encore une fois, sa soeur était dans la démesure. Tellement insupportable. D’ailleurs elle ne mangea finalement pas tant que ça avant d’aller se blottir dans le lit de son frère.
« Je peux dormir avec toi, dis ? J’ai peur toute seule. » Le jeune garçon leva les yeux au ciel mais devant l’air suppliant qu’elle lui adressait, il ne put lui dire non et vint s’allonger en silence près d’elle. Il ne pouvait vraiment rien refuser à sa sœur et pourtant, qu’est-ce qu’il pouvait la détester. C’était désespérant.
ROMA, ITALIA – JUIN 2006Papa, Maman, j'ai reçu ma lettre pour le lycée Giulio Cesare. » C'était une annonce faite sans grande cérémonie, à l'occasion d'un des rares dîners qui réunissaient la famille Leonetti au complet. La nouvelle d'ailleurs n'étonna personne, pas même le principal intéressé qui se contenta du sourire satisfait de son géniteur.
« C'est bien, ils n'ont pas tardé. » Il était entendu depuis fort longtemps que Christos effectuerait ses études dans la prestigieuse école de Rome. Aucune alternative n'avait été envisagée et fort heureusement pour le jeune homme, ce destin déjà tracé lui convenait bien. C'était de toute manière une des conditions imposées par son paternel à la tenue de son long voyage aux quatre coins du monde. Presque deux années passées à sillonner les routes du globe, alternant entre séjours luxueux et camping sauvage en fonction de ses envies. Un éloignement qui lui avait été nécessaire, vital même, et qui n'avait été toléré qu'en échange de la promesse d'entamer des études sérieusement, avec l'objectif à long terme de monter sa propre affaire avec Papa qui finance. S'il avait joué les difficiles à l'époque, encore trop jeune pour prendre tel engagement, cette voie ne lui paraissait aujourd'hui plus aussi contraignante. Conscient de sa chance, en partie justement grâce à ce qu'il avait vécu durant ses deux années à l'autre bout du monde, il ne s'imaginait pas cracher dans la soupe. Et puis la perspective de travailler avec son père ne pouvait que flatter son ego déjà bien entretenu. Excellent élève au dossier irréprochable, la question de son admission au lycée ne faisait donc aucun doute.
« Christos, Tu me raconteras comment les choses se passent à l'école à présent » Celui-ci acquiesça en silence, préférant taire toute objection éventuelle. Il jeta un coup d'oeil à son frère qui entamerait également ses études secondaires prochainement. L'italien ne s'était jamais séparé de son frère et de sa soeur même si cela faisait un bon bout de temps qu'il était préparé à les quitter. Les trois enfants échangèrent un nouveau regard, un de ceux qui pouvaient remplacer toute une conversation à voix haute. Un nouveau chapitre de leur vie s'ouvrait.
LYCEO GIULIO CESARE, ITALIA – DECEMBRE 2008Christos aimait beaucoup se trouver au lycée Giulio Cesare. Pas parce qu’il appréciait tout particulièrement ses cours, loin de là même. Il avait d’autres motivations pour bien aimer cet endroit. Les filles par exemple. Maintenant qu'il était libre il pouvait tout se permettre. Puis l'école était sûrement le meilleur endroit pour en trouver à séduire. D’autant plus qu’ici, elles avaient l’air toutes plus stupides les unes que les autres. Il suffisait qu’il leur adresse la parole en se montrant particulièrement aimable pour qu’elles finissent inévitablement par être attirées vers lui. Sa gueule d'ange, son nom et son compte en banque étaient presque superflus tant il lui était facile de trouver de la compagnie féminine. C’était avec une fille qu’il se trouvait d’ailleurs là. Une jolie blonde qui s’appelait Emily ou Emma ou un autre prénom qui commençait par un E, il ne savait plus trop exactement. Ça n’avait pas d’importance, elle buvait tellement ses paroles qu'il pouvait se tromper de prénom autant qu’il le voulait. La jeune femme laissa d'ailleurs échapper un rire stupide après qu’il eut fait une plaisanterie (très drôle certes mais pas à ce point). Christos se pencha vers elle pour lui glisser quelques mots doux au coin de l’oreille qui la firent rougir et s’apprêtait à l’embrasser quand il sentit qu’on le frappait. Ce n’était pas très violent comme coup mais c’était suffisant pour attirer son attention. Il s’écarta donc de la demoiselle pour faire face à une autre jeune femme. Celle-ci, il ne pouvait pas prétendre ne pas en connaître le nom.
« Salut Bianca. C'est que tu m’aurais presque fait mal tu sais. » Une réponse qui ne fit que lui attirer un nouveau coup dans le biceps et un regard noir. La splendide jeune femme le tira ensuite à l'écart.
« Tu nous excuses deux minutes. » La mine blasée, il s'adressait à la blonde qui les dévisageait. Christos suivit la brune de mauvaise grâce, certain qu’elle allait faire une nouvelle crise.
« Tu peux m’expliquer ce que tu faisais ? » S'armant de son plus beau sourire, il décida de jouer une de ses cartes favorites en espérant que ça suffirait pour la calmer.
« Tu sais que tu es vraiment charmante quand tu es en colère. Encore plus que d’habitude. » La demoiselle était cependant farouche et ne se laissait pas berner par cette maigre tentative de diversion. C’était sûrement ce qui lui avait plu initialement chez elle.
« Réponds-moi. » Il poussa un soupir ennuyé.
« Je discutais avec Esther. C’est interdit ? Elle est très intéressante Esther, un peu niaise sur les bords mais très jolie alors ça peut s’oublier. » Son interlocutrice semblait sur le point d'exploser. Il choisit sagement de ne pas pousser la provocation trop loin et prit un air plus sérieux.
« Qu'est-ce que tu espères de moi Bianca ? » Voilà une question à laquelle elle ne s'attendait pas. A tel point qu'elle en resta muette alors que Christos réfléchissait à leur situation. Ce n'était pas comme s’ils sortaient ensemble ou quoi, ils avaient juste pris l’habitude de se voir de temps en temps. Mais ça devait signifier beaucoup pour elle vu ses réactions hystériques lorsqu'elle le croisait avec d'autres filles. Elle allait encore pouvoir cracher sur son dos et le traiter de connard, mais il ne lui avait jamais rien promis.
« Bien, tu m’en voudras pas trop mais je vais te laisser. On m’attend. » Il montra la blonde qui n’avait pas bougé et tourna les talons, plantant la brune sur place.
« Alors, on en était où ? » souffla-t-il à l’oreille de l’autre jeune femme en la rejoignant. Non il n'est jamais tombé amoureux.
SAN FRANCISCO, USA - JANVIER 2009Après son retour à San Francisco en 2008 plus rien n'a rien été comme avant. Premièrement il y a eu le divorce de ses parents qu'il n'a jamais pu accepter - encore un an après il s'en veut de ne pas avoir été là. Il aurait voulu être présent pour calmer sa mère ou sermonner son père. Il y a eu également les affaires louches dans lesquelles le chef de famille avait trempé. Affaires mystérieuses où Christos a préféré ne pas s'y aventurer trop près. Il avait entendu dire que la mafia entourait la banque tel un vautour en quête de sa proie. Seulement des rumeurs en somme. Puis c'était ses problèmes, pas les siens - il n'était pas tellement proche de son patriarche. Ce qui l'intéressait lui, celle qui l'agaçait au plus haut point c'était la femme que son père avait ramené. Enfin.. "Femme" était un grand mot car elle était plus vieille que Christos d'un an seulement, elle aurait donc pu être sa soeur. Ou pire, sa petite amie. Grande blonde, parfaitement son style. Le hic c'était qu'elle était la maîtresse du chef de famille et donc inaccessible. De toute manière, il n'avait pas le coeur à la séduire après tout le mal qu'elle avait causé à la famille Leonetti, après tout le mal qu'elle lui avait fait à lui. C'était suffisamment humiliant de devoir la regarder en face et se dire que c'était elle sa belle-mère.
« Père, est-ce que je pourrais avoir 50 euros s'il-vous-plaît ? » Le vieillard plissa son regard d'un air décontenancé
« Encore ? Quand est-ce que tu voleras enfin par tes propres ailes ? J'ai commencé tôt et à ton âge j'avais déjà ma propre affaire.. » C'est ainsi qu'il sortit son spitch d'une demie-heure traitant de son premier million. Christos le détestait quand il parlait de lui, toujours lui. Le jeune homme voulait de l'attention, pas un roman sur la vie de son père. Si il l'aurait voulu, il aurait juste à consulter son biographe personnel mais ça le Padre ne le comprenait pas. Christos avait multiplié les tentatives pour qu'il soit enfin là pour lui et ses frères et soeurs mais rien n'avait abouti. Alors il s'était résigné avec le temps.
C'est pour cela qu'il fumait autant après tout - et pas que des cigarettes. Le sexe, la drogue et le sport occupaient son quotidien des moins palpipants. Les vices comblaient son vide intérieur à leur façon, un moyen bref de remplacer des parents absents pendant un court instant. Parfois il songeait aux jeunes un peu moins riches mais plus heureux, ceux que les riches malheureux adorent détester du haut de l'étage de leur hôtel privé. Christos les enviait littéralement et était le premier à leur faire des crasses.
SAN FRANCISCO, USA - 2016Le regard de Christos se posa sur le visage figé. Celui de son père. Froid, glacial. Morbide. Il n'avait jamais l'air aussi reposé qu'à cet instant. Il y avait beaucoup de gens à sa cérémonie, peu de sa famille. Ses collègues certainement. Vêtu de noir, l'ainé de la famille jeta un dernier coup d'oeil à son patriarche sans afficher la moindre émotion. Sans doute parce qu'il s'était bien défoncé juste avant. Les rails de cocaïne jonchaient encore les sinuses de ses narines tout en s'occupant des nerfs de son cerveau. Même drogué, il savait qu'il ne devait pas faire le moindre écart autrement sa famille serait couverte de honte par le gratin de la haute société. Alors il restait affalé sur un des bancs de l'église, espérant que Dieu le pardonne pour cet affront. Silencieux mais rêveur. Les hallucinations étaient très fortes et le menaient en bateau, faisant virevolter son esprit dans tous les sens. Il ne voulait pas penser aux circonstances de la mort de son père. Pourtant son trip le forçait à les imaginer. La mafia, c'était sûr. Mais qu'avait-il bien pû faire pour finir six pieds sous terre ? Non, il ne voulait pas le savoir. Christos s'inquiétait beaucoup plus pour lui qui devait reprendre les rênes de la banque. Il devait aussi s'occuper de régler toutes les affaires illégales. Lourd poids sur les épaules d'un jeune adulte de vingt-six ans. Il était en colère aussi de devenir le chef de famille. Merde. Il n'était pas préparé à une telle chose. Pourquoi l'avait-il laissé ? Christos réagissait comme un gosse capricieux quand il était énervé. Et là, il avait la rage de ne pas avoir eu un mode d'emploi. Que devait-il faire ?