new-york, deux mille onzeles néons s'éclairent sur ma peau trop pâle et tiraillée, mes traits fatiguées, mon regard embrouillé, mon esprit embrumé, du gars qui vient de se réveiller et qui est complètement paumé. complètement, en entier. une machine s'anime, des bip stridents s'accélèrent et l'odeur du désinfectant parvient à mes narines.
j'suis dans un putain d'hôpital?
putain. mes couilles.j'essaye de me relever, brusquement, mon torse me tire, je manque de hurler et me laisse retomber en arrière aussi sec. une douleur vive, lancinante, aiguë, atroce, à la limite du supportable qui m'habite et refuse désormais de me foutre la paix.
putain de bordel de merde.
ma petite soeur se jette presque sur moi, me serre dans ses bras, aussi fort qu'elle le peut avec ses bras d'enfants, embrasse mon visage des dizaines de fois au moins, pleure, et refuse de me lâcher. j'ignore depuis combien de temps elle est là, sûrement trop.
il faut peu de temps pour que mon cerveau arrive à reconnecter les fils entre eux et comprendre ce qu'il s'est passé. il faut peu de temps pour que je me souvienne, que je réalise ce qu'il s'est passé. ouais, ça s'est vraiment passé.
la salope, elle m'en a filé, des coups de couteau. cette grosse pute.
si j'avais la force, je me collerais une bonne grosse gifle pour avoir été aussi con. mais je l'ai pas, la force. mentale, plus physique. j'ai plus rien, physiquement. j'ai plus rien, j'suis plus rien.
et maintenant? maintenant quoi? qu'est-ce qu'il se passe?papa entre dans la chambre, de son calme toujours aussi olympien, mais la braise, le feu brûle au fond de ses yeux. papa fait sortir la princesse en vitesse de la chambre. maman reste à l'entrée de la chambre, peinée, tête baissée, sans oser passer un pied à l'intérieur. son tour viendra. après.
papa a crié, papa a montré son mécontentement, sa rage, sa déception.
des mois de soins ont passé, l'empire installé à new-york par mes soins a commencé à couler, et j'y suis retourné juste à temps pour tout rattraper.
tout rattraper et me venger.
sale chienne, j'te jure que tu vas bouffer.j'ai attendu patiemment qu'elle sorte de taule, j'ai attendu patiemment des années parce que putain, la vengeance est un plat qui se mange froid. j'ai attendu patiemment qu'elle se reconstruise, même, pour bien la démolir.
je descends de la voiture ce soir, bien décidé à lui en faire voir de toutes les couleurs.
normalement, elle devrait être six pieds sous terre depuis longtemps. elle le serait si j'avais pas ordonné qu'on me la laisse. elle aurait croupi en prison, comme cette merde qu'elle est. mais je la veux pour moi tout seul.
mes baskets couinent sur le carrelage du hall de l'immeuble. j'ai décidé de ne pas mettre mes belles pompes, parce que je sais que je finirais les pieds recouverts de sang.
j'ouvre la porte de l'appartement comme s'il m'appartenait, comme si c'était là mon territoire. j'en suis le roi.
daddy's home, bitch.les coups ont fusé, autant que les insultes. les os ont craqué, la vengeance est tombée, aussi sale que brutale. œil pour œil, dent pour dent. et un peu plus au passage. tout s'est terminé en beauté, dépendant du point de vue que l'on prend.
je l'ai écorchée vive, cette pute, je lui ai fait payer tout le mal qu'elle m'a fait, qu'elle a fait à ma famille, qu'elle a causé à mon business. je lui ai brisé les côtes une par une, je lui ai fait cracher ses dents, j'ai déformé son visage pour qu'elle soit méconnaissable, j'ai gravé
traitor du bout du couteau, sur sa peau.
j'ai laissé parler mon sentiment de vengeance, ma haine, mon imagination, avant d'avoir finalement pitié pour elle, avant d'en avoir assez d'entendre hurler, avant de lui avoir tiré une balle dans la tête.
voilà comment les problèmes sont réglés.
de luca's way. ragusa, deux mille seizemilo sur mes talons, sa petite main qui serre la mienne fort, très fort, et sa tête qui tourne vers moi toutes les trente secondes, qui cherche à comprendre ce qu'il se passe, où on s'en va, pourquoi on a pris l'avion, où est-ce qu'on marche d'un pas si décidé.
enfin, c'est moi qui l'ait le pas décidé.
lui, a du mal à suivre, trébuche, alors qu'il sait à peine marcher, et je finis par l'attraper dans mes bras. ça ira plus vite comme ça.
- arrête de me regarder comme ça milo, j'te l'ai déjà dit, on va voir papi.
enfin, la première rencontre, tant attendue, celle qui me fout les jetons, les frissons, l'angoisse, même si rien ne paraît.
- y aura maman aussi?
- non, j'te l'ai déjà dit, maman est partie et elle reviendra pas.
je me retiens pour ne pas m'énerver. le pauvre gosse y est pour rien, si sa mère n'est pas suffisamment bien pour garder le droit de l'éduquer, ni même de l'approcher d'ailleurs. qui en a jugé? moi. qui l'a faite partir? moi.
on entre dans la grande villa de papa et maman, et milo se colle contre moi, un peu apeuré de se retrouver dans cet endroit qu'il ne connait pas, avec ce père qu'il connait encore si peu.
- andrea, chéri! tu es enfin arrivé!
maman est presque en train de nous courir dessus pour nous serrer dans ses bras, aussi bien milo que moi. si moi je me laisse faire sagement, trop respectueux pour rechigner envers la mamma, milo, lui, rit et la repousse légèrement.
un vrai sale môme. comme son père.- où est papa?
- il se repose dans le salon. allez-y.
papa est malade. papa est mourant. papa doit laisser tout son héritage à ses enfants, et papa craint de ce qu'il va se passer ensuite. mais les affaires ne seront pas évoquées aujourd'hui. pas devant le petit.
on entre dans le salon alors que je repose milo sur ses pieds et reprends sa main dans la mienne. on approche de papa et je vois déjà une étincelle qui brille dans ses yeux, quelque chose qui s'allume et qui éclaire son visage blafard, un sourire qui tire sur ses lèvres et ses bras qui se tendent pour accueillir le petit contre lui.
- ton portrait craché, c'est ton portrait craché.
et le lot de conneries qui va avec.- la relève sera bien assurée, t'en fais pas papa.
san francisco, deux mille dix-septassis dans mon coin, sur mon fauteuil en cuir, à la limite de l'affalement, les bras ballants sur les accoudoirs, verre de whisky dans la main droite, cigarette dans la gauche, j'observe et je surveille mon royaume, mon empire. roi que je suis.
putain qu'c'est beau, quand même.tout ce que j'ai construit, tout ce que j'ai bâti tout seul. la façade de mon autre empire, mon entreprise de blanchiment d'argent. la fierté qui rayonne dans mon œil, qui brille au fond de ma pupille et le visage autrement impassible.
l'observation fine, et le silence parmi le brouhaha de la musique, des verres qui clinquent, des gens qui parlent fort, et trop. le brouhaha ambiant du club.
et une petite blonde, perdue au milieu de la foule qui a l'air de ne pas lui appartenir, perdue au milieu d'un monde qui n'a pas l'air d'être le sien. la perte dans ses yeux et pourtant l'assurance dans ses gestes. léger sourire sur mes lèvres.
nouvelle proie éventuelle.des cheveux qui n'en finissent pas, des courbes affriolantes, une tenue qui ne donne qu'envie de la lui retirer, des lèvres qui ne demandent qu'à être butinées.
mes yeux qui la suivent, ne la lâchent pas une seconde, des plans qui se déroulent dans ma tête pour savoir comment, et quand pouvoir la cueillir, quelle approche tenter pour l'obtenir dans mes filets. rien de bien compliqué. le prédateur qui élabore sa stratégie. fin sourire qui s'étire et whisky au bord des lèvres.
putain.tout qui tombe en miette tout à coup quand elle approche de trop près une de mes filles, quand elle lui colle aux basques, quand elle continue de lui parler des minutes durant. je me lève. j'voudrais pouvoir éviter toute emmerde, toute fouine dans mon club. je me lève, et les rejoins.
- mademoiselle, bonsoir. y a un problème?
en toute politesse, en toute courtoisie, j'voudrais bien te dire de te barrer d'ici, et d'aller te faire foutre. te faire foutre avec moi éventuellement, pourquoi pas. je regarde ma performeuse, essaye de déceler quelque chose dans son regard, une quelconque embrouille qui pourrait arriver. rien.
- non celio, tout va bien. elle voulait juste..
te poser des questions. la blonde se présente, m'explique un peu. j'suis méfiant, mais je souris quand même. ultra méfiant. ultra méfiant quand il s'agit du bien être de mes filles, quand il s'agit du bien être de mon club. et là, elle empiète sur les deux, peu importe à quel point elle est canon.
- je suis désolé, elle a un service à terminer. tu peux retourner travailler, laïla.
un sourire, et elle s'en va. je me retourne vers blake. le canon. que je me ferais bien, soit dit en passant. si personne n'avait encore compris.
- je peux vous offrir un verre en attendant, mademoiselle lawson? le temps qu'elle finisse, et elle sera toute à vous.
laïla briefée, comme les autres, j'ai une confiance absolue. rien ne sera confié sans ma permission, rien ne sera fuité, rien, rien, rien. trop de respect, trop de privilèges à perdre. trop de filles chouchoutées pour qu'elles me tournent le dos du jour au lendemain.
certaines prostituées, aucune obligée. que du choix, toujours le choix. des 'suppléments soirée' comme on pourrait appeler ça. des heures supplémentaires.
et les heures ont passées, les verres aussi. une blake un peu trop pompette en fin de soirée, des espoirs qui n'ont rien donné, des avances trop légères, aucune avancée sur ma chasse, mais rien qui ne saurait tarder. une interview faite sous surveillance, et un nouveau numéro dans mon répertoire.
soirée loin d'être gâchée.