Life is short, smile while you still have teeth.
« LOUIISE ! Descends, ton oncle arrive ! » Mon oncle et ma tante viennent pour le réveillon de Noël, alors il a fallut que l'on fasse tous un effort vestimentaire. Et moi, les robes j'aime pas trop ça. Les robes, c'est pour les filles qui aiment bien qu'on leurs tire les cheveux et qui passent le temps de récréation à courir après les garçons et à rire comme des pintades. Moi, j'aime pas trop ça... Je veux pas être une fille. Et puis cette robe, elle est beaucoup trop rose pour être portée par un quelconque être humain qui se respecte.
Oui, j'ai onze ans et je sais ce qu'un être humain qui se respecte doit porter ! Et ce n'est définitivement pas cette robe à froufrous. J'ai l'air d'une grosse meringue et ça me donne envie de pleurer. Mais parce que Monsieur mon oncle vient... Pfff. C'est injuste. Mon oncle, il est tout nul et faut être gentil juste parce qu'il a de l'argent. Parce qu'il a « réussi sa vie », comme dit Papa... Alors parce qu'il a réussi, je dois être une pintade pour Noël. Je trouve ça franchement injuste. Et puis la porte de ma chambre s'ouvre brusquement et je sursaute, et c'est ma petite sœur qui rentre, toute guillerette et contente d'être habillée d'une robe encore plus rose que la mienne. Ma sœur est une pintade et elle le vit bien. Je ne la comprends pas.
« Loulou dépêche toiii ! Oncle Daniel arriiiiiive ! » Je fais une grimace.
« Mais je ressemble à une pintade ! » Là, elle arrête de s'agiter pour un rien et me regarde des pieds à la tête. Ma sœur a huit ans, et elle ne maîtrise pas encore les métaphores.
« Mais non, tu es très très jolie ! Allez viens ! » L'argument d'autorité présenté, la petite me kidnappe une main et je dois la suivre en courant presque pour dévaler les escaliers et retrouver mon oncle et ma tante.
C'est à ce Noël ci que ma vocation s'est faite. C'est à ce Noël ci que je me suis rebellée et que j'ai décidé que je ne voulais pas être une pintade, ni être une épouse parfaite et avoir des enfants parfaits plus tard. La vérité, c'est que je détestais mes cousins. Et si ma sœur n'était pas si petite, je ne l'aimerais probablement pas autant. Quand à mon oncle, il est sans doute la personne que je détestais le plus sur terre. Pour sa vision de la vie et de la femme. Mais là, encore, ce n'était qu'un début. Un début qui m'a fait quémander d'entrer dans des cours de sports un peu spéciaux l'année suivante. Un début qui continuera à influencer ma vie entière.
« LOUISE ! » La langue tirée, je me presse de donner les quelques coups de pinceaux qui manquent pour que la toile ne soit plus blanche.
« J'ai presque finiii ! » Je m'exclame de ma chambre, transformée en atelier de peinture pour l'occasion. L'occasion, c'est encore Noël. Et la cause pour que ma mère beugle encore mon prénom, c'est parce que mon oncle vient d'arriver. Mais cette fois, j'ai une bonne excuse pour être en retard ! Je suis en pleine finition de cadeau de Noël ! Une mèche tombe devant mes yeux et je me frotte le nez, laissant là une trace de peinture noire. Je me recule un peu pour observer mon chef d'oeuvre : le tableau est tout noir, à l'exception du cercle coloré jaune au milieu. Ceci est le tunnel de la mort. Ceci est le cadeau de Noël de mon oncle. Et je glousse à l'idée de voir sa tête lorsque je vais lui donner ma toile.
« J'arrive ! » J'annonce en me levant vivement, ma petite toile dans la main. Je souffle dessus pour pousser la peinture à sécher, même si elle le sera sans doute que dans trois jours. Tant pis, il devra se salir les doigts un peu !
Par habitude, je vais observer mon reflet dans le miroir. J'ai bien une tache de peinture sur le nez. Et j'en ai partout sur les mains. Je ne suis pas habillée convenablement : entendez que j'ai un jean et un tee-shirt d'un groupe de métal piqué à mon copain du moment, et une veste piquée à mon père beaucoup trop grande pour moi que j'adore plus que tout puisque je trouve qu'elle fait bien peintre. On est bien loin de la robe de pintade rose, mais j'ai aujourd'hui seize ans et je suis une adolescente rebelle et pleine d'idéaux que je suis prête à défendre avec férocité.
Je cours presque jusqu'au salon, salue les nouveaux arrivants d'un
« Bonjouur ! » très glorieux avant d'aller me poster devant Daniel, l'air espiègle que je maîtrise de mieux en mieux. Et puis je lui tends ma toile, toute fière de moi.
« C'est ton cadeau de Noël, je l'ai fait moi-même ! En fait, le noir représente l’oppression de ta philosophie misogyne, et le jaune la mince lueur d'espoir que je vois en toi... Parce que je suis optimiste, je suis sûre qu'un jour tu te prendras un coup sur la tête et tu comprendras à quel point tu es ridicule ! »Comment vous dire que ça a suffit pour que je suis punie pendant un mois, après ? Mais en fait, ça valait totalement le coup !
« Tu vas devenir policière ?! » James me regarde d'un air perplexe et je hausse un sourcil tandis qu'un léger sourire ironique commence à prendre place sur mes lèvres.
« Quoi, tu croyais que je plaisantais tout ce temps ?! » Je vous jure que l'espace d'une seconde, j'ai pensé à le plaquer dans la minute. Puis j'ai vu son sourire amusé et son air taquin, et il a fini par rire.
« Non, mais je pensais pas que tu y arriverais pour de vrai ! » Bon, et là j'y ai encore pensé. C'est gentil de croire en moi... Mais franchement, James ce n'est pas le pire. Il y a mon père, qui craint pour ma vie. Et aussi mais surtout mon oncle, qui m'a renié il y a quelques années déjà. A Noël et aux anniversaires, je suis toujours celle qui reçoit le cadeau le plus pourri ! Mais franchement, ça me fait bien rire. Il est d'une drôlerie bouffonne. Et puisque la guerre est officiellement déclarée, je lui ai fais une photocopie de ma lettre d'admission à l'académie de police et je suis actuellement en train de la poster. Après l'avoir montré à James, parce que je suis plus que fière de moi !
« Oui, et moi je pensais que tu allais devenir une star du football ! Au lieu de ça, je vais épouser un professeur de lettres anciennes. Je ne sais pas qui est le plus perdant, dans l'histoire. » Il hausse les épaules de façon innocente.
« Aah, sans doute toi ! » Sans doute, oui.
« T'en fais, je te défendrais quand tes élèves essaieront de t'assassiner parce que le latin, c'est super nul. » Je lui promets avec un rire avant de ranger la feuille dans l'enveloppe et l'enveloppe dans la boîte aux lettres. Vous savez ce qu'on dit, emballer c'est peser !
Bon, en fait, James c'était un sale type. Et un sale type du genre gros connard, d'accord ? A l'université, il m'a un peu trompé avec l'une de ses camarades de classe. Un peu, assez pour qu'elle tombe enceinte et qu'il me demande à moi quoi faire. Alors voilà, James s'il se fait agresser par ses élèves un jour, et bah il peut crever. Je donnerais même une sucrerie à l'élève. Avant de le mettre en prison, faut pas abuser. Après James, je me suis d'avantage concentrée sur l'académie de police. J'y ai passé cinq années, sans doutes les plus ardues de ma vie mais également les plus exaltantes. Certes, il y avait toujours ces cons qui se moquaient ouvertement de moi à cause de mon sexe. Mais ils le faisaient une fois, généralement, pas deux. Très vite, ma réputation s'est faite : la chieuse féministe un peu dingue sur les bords, parce que j'ai tendance à pousser les choses à leurs extrêmes. Convaincre une personne qui veut se suicider de me donner son pistolet ? Moi, je l'insulte, le presse de se suicider avant de le frapper et lui prendre l'arme de force. Apparemment, c'est pas comme ça qu'il faut faire. Mais malgré ces quelques distorsions, je suis tout de même sortie diplômée, avec les félicitations et parmi les premières de ma promotion. Alors c'est plus qu'heureuse que j'ai rejoint le commissariat de San Francisco, dans le Financial District, en temps que patrouilleuse. Mon premier grade ne m'a pas permis de la jouer cash dès les premiers jours,alors j'ai été plutôt sage la première année... La première année seulement.
« Uurh. » Je salue Elsa en m'affalant sur la chaise à côté de la sienne. C'est la pause déjeuner, il me reste encore l'après-midi à travailler et je suis déjà épuisée. La brune pouffe de rire et me tend immédiatement sa boîte remplie de raisins et j'en saisi un sans grande conviction.
« Edward ? » Elle demande, un peu trop amusée de mon malheur à mon goût. J'acquiesce.
« Edward. » Edward, c'est le pire partenaire patrouilleur que je puisse avoir. Sexiste comme pas deux, un peu fainéant et en plus il met trop de déodorant pour homme et j'éternue toujours les cinq premières minutes que je suis en sa présence. Elsa rit encore un peu je lui souris.
« Asher est là aujourd'hui ? » Si vous vous demandez, tout est de la faute d'Edward. Parce qu'il m'a trop agacé ce matin, je n'ai même pas fait attention à qui était dans la salle de déjeuner. Mais du coup, j'ai le droit au magnifique air perplexe de Elsa et un non moins magnifique retourné de Asher, occupé à peine deux mètres plus loin à faire du café.
« Oh merde ! » Je m'exclame sans faire attention au filtre de la parole qui doit ne pas révéler mes moindres pensées. Asher me sourit, et je fronce les sourcils.
« Salut Louise ! Tu veux un café ? » Je hoche négativement la tête. Non. Non ça ira !
« Non, j'te remercie. » Asher, il est mignon. Il faut lui reconnaître ça, d'accord ? Mais il est surtout très, très lourd. Tellement qu'on peut se demander comment la terre fait pour lui résister ! Mais bref, du coup il est lourd. Et comme je suis assez malchanceuse, il a jeté son dévolu sur moi dernièrement... Et je ne sais pas. Franchement, pour un soir je dirais pas non. Lui non plus, d'ailleurs. Mais j'ai peur qu'il y ait plus, alors... Non, je vais dire non !
« Tu fais quelque chose ce soir ? » Oui. Je dors.
« Elsa doit me présenter son frère, oui ! Désoléeee. » Regard à Elsa, qui acquiesce vivement. Elsa n'a pas de frère, en fait. Ou alors, elle ne m'en a jamais parlé... Mais tant pis ! Ce soir, Elsa me présente son frère ! Ash sourit, pas même rebuté pour un sou.
« Une prochaine fois, alors ! » Qu'il fait avant de partir, sans omettre de me pat-pater l'épaule au passage. Regard de détresse à Elsa.
« Aaaah ! » La. Détresse !
« Mrooh, aller, vous seriez mignons ! Asher et Louise ! » Oui, mais non.
« Si je veux quitter les patrouilleurs et que je sors avec Asher, ça puera le pistonnage. Alors non. Merci. Non ! » J'ai de très bonnes excuses, oui. Et puis, Asher est trop vieux. Il a juste quatre ans de plus que moi, mais oui il est trop vieux.
Parce que flirter un collègue de quatre ans son aîné c'est mal, mais une dizaine d'années... ? Bon. Alors pour la petite histoire, je n'ai pas fait exprès. Disons que la seconde année au sein du poste s'est beaucoup mon bien déroulée que la première. Mon caractère de merde et mon fort tempérament m'ont vite rattrapé. Pour commencer, j'ai envoyer paître Edward. Et j'ai clairement fait comprendre à Asher que je ne sortirais pas avec lui. Et il m'a aussi clairement fait comprendre que ce n'était pas ce qu'il voulait. Du coup j'me suis sentie conne, et il a arrêté d'être si lourd. Maintenant, il est un peu moins lourd, et agréable à vivre. Je pouvais désormais me fixer sur mon objectif : quitter les patrouilleurs et entrer dans une brigade pour mener de vrais enquêtes. Ce que j'ai fini par faire, au bout de deux ans. Je me suis rapidement entendu avec mes nouveaux collègues. Même s'ils étaient tous plus âgés que moi et avaient l'habitude les uns des autres, et même si j'avais ma réputation de chieuse qui me collait à la peau. Je faisais mon boulot, au moins, et je le faisais bien. Ma relation avec mon supérieur direct est plus... Conflictuelle. Il arrive, trop souvent, que je ne respecte pas les ordres. Ou que je ne l'envoie promener pour n'en faire qu'à ma tête. Et je pensais qu'il me détestais, vraiment. En toute logique. Et je n'avais pas remarqué qu'il y avait de la tension entre nous, jusqu'à ce qu'il m'embrasse de façon impromptue lors d'une énième dispute. C'était il y a quelques mois, et franchement j'étais pas prête. Sur le coup, ça m'avait encore plus énervée. Dites-donc, les fantasmes de faire ça au travail, ça va bien mais non merci ! Et maintenant, je ne sais plus. Parce que nos échanges sont trop fréquents, parce que je fais trop souvent ce qui ne m'est pas demandé et que c'est surtout devenue une habitude. De pousser les limites pour voir jusqu'où ça peut aller.
« Ambrose ! Le boss veut te voir. » Asher est passé devant moi, Asher est revenu en moonwalk et Asher m'informe aimablement que je suis - encore - convoquée. Et moi, j'avais fini ma journée et j'étais prête à aller aux vestiaires me changer pour pouvoir rentrer chez moi mais... Eurg, ok.
« Tu crois que ça peut attendre demain ? » Je demande tout de même, toute pleine d'espoir. Au cas où. On n'sait jamais. J'dis ça j'dis rien... Puis l'espoir ne tue pas, alors pourquoi pas ?
« Non. » Qu'il me répond simplement avant de se mettre à sourire face à mon air renfrogné.
« Oh aller, tu as fait du bon boulot aujourd'hui ! Peut-être qu'il te félicitera ! » Oubliez mes pensées positives sur l'espoir. C't'un connard. Et la vie est nulle. Je grimace un sourire à Asher et le suis jusqu'à l'étage des grands. Moi, j'vais me faire engueuler, excusez-moi laissez passer !
Lorsque je frappe à la porte de son bureau, je n'attends pas bien longtemps avant qu'il ne relève la tête, remarque ma présence grâce à la vitre de la porte et me fasse signe d'entrer. Bien, bien...
« Fermez-la porte, Ambrose ! » Qu'il fait avec sa voix grave, pratique pour donner des ordre. Je me retiens de lever les yeux au ciel, fais ce qu'il m'a demandé.
« Je m’assoie ? » Je demande d'un ton un peu insolent. Autrement dit, ça va être long ? Il me regarde un peu durement, du regard qui dit que c'est lui le chef. Chef oui chef. Il finit par m'inviter à prendre place dans un fauteuil face au bureau, ce que je fais sans rechigner. Ça va être long.
« Louise, je ne sais plus quoi faire de toi. » Ah, c'est triste ça un peu. Non, parce que quand on dirige une équipe entière et qu'on ne sait pas quoi faire... C'est pas cool. Mais que voulez-vous, je suis un électron libre. Qui peut perdre son job d'un jour à l'autre. Mais un électron libre tout de même.
« Oh j'sais pas, vous pouvez peut-être me donner une promotion ? » Je propose avec un sourire tout innocent. Il garde son air neutre quelques secondes encore, me jugeant sans doute, avant de se mettre à sourire légèrement.
« Est-ce que je fais la répartie vulgaire qui nous amènera à nous disputer ? » Je plisse les yeux, réfléchissant à quelle peut être cette répartie vulgaire et... Ah oui ! Ok. Non.
« Non, ça ira ! Merci de l'offre ! » Mais j'ai compris le message. Je me calme. Je suis sage comme une image animée ! Parce que je peux pas être trop sage non plus. Faut arrêter de croire au Père Noël.
« Tu as fait du bon boulot aujourd'hui. Mais pas le tien. Et tu as eu de la chance d'avoir eu une bonne intuition, parce que sinon tu aurais fait foirer toute l'enquête. Il faut vraiment que tu arrêtes, Louise... » Et en fait, j'aime pas quand il prend un ton gentil.
« Mais... » Il lève la main et je me tais. J'ai honte, mais je me tais.
« T'es une bonne flic. Mais t'es trop jeune, tu peux pas te permettre de prendre des risques. » Hastag l'excuse.
« Et je suis une femme ? » C'est plutôt ça, le problème.
« Oui. Et je m'en voudrais s'il t'arrivait quelque chose. » Je ris nerveusement, prête à prouver que je suis parfaitement capable de me défendre seule.
« J'ai suivi le même entraînement que tous les hommes ici ! Et je suis parfaitement capable de me défendre, et d'attaquer et non, je suis désolée, mais c'est pas un argument ! » Bon en fait, je suis pas désolée. Je suis surtout très en colère, d'avoir toujours à me justifier et me défendre sous prétexte que mes chromosomes ne suivent pas la norme imposée par le genre opposé.
« J'ai pas voulu dire ça dans ce sens là. » Il finit par dire après un temps de réflexion. Je reste silencieuse. Ah oui ? Mais alors dans quel sens ? Dans le sens, ce serait dommage de perdre une bonne policière comme toi ? Ou dans le sens, non mais en fait je t'apprécie un peu plus que bien et je serai triste que tu décèdes subitement à cause de l'un de mes plans foireux ? Il pousse un soupir, se lève de sa chaise et commence à faire le tour du bureau. Je me lève également, parce que mon instinct me dit de prendre mes jambes à mon cou.
« Vous êtes... » Là, je suis en manque de vocabulaire pour le décrire.
« Louise... » Oui, mais non.
« Non ! Vous êtes juste incapable d'accepter qu'une femme puisse faire votre boulot ! Allez vous faire voir ! » La politesse étant dite, je pousse la chaise d'un coup de pied dans sa direction avant de partir, énervée, vers les vestiaires. Les gars, faut se calmer cinq secondes. Je ne suis ni un objet de désir, ni un instrument de torture. Je ne suis pas une pintade comme ma sœur, on n'a pas besoin de s'inquiéter de mon sort... Et je ne suis pas attirée par mon patron ! Merde alors !
En bref, heureusement que McDo a été inventé pour les moments de peine.